BOUH ! Théâtre-marionnettes > tout public dès 8 ans
Différence, fantasmes générés par la rumeur
> reportage dans une salle de répétition du Théâtre de Sartrouville–CDN
C’est l’effervescence aujourd’hui, car Simon Delattre, le metteur en scène du projet, a souhaité ouvrir une des répétitions à l’équipe du Théâtre de Sartrouville : « Parallèlement à une résidence à Charleville (nous sommes tous diplômés de l’ENSAM – École supérieure nationale des arts de la marionnette), puis à Chevreuse, nous avons travaillé dans la salle de répétition du Théâtre de Sartrouville pendant près de trois semaines. C’est presque le luxe, tant les conditions de travail sont difficiles aujourd’hui pour les équipes artistiques. Pour notre part, nous nous sentons soutenus. Un accompagnement vraiment appréciable ! », explique le jeune créateur.
Cette présentation fournit donc l’occasion aux équipes de découvrir le spectacle, à une étape importante de sa création, et d’échanger sur les difficultés rencontrées et les points qu’il reste à polir. Après le travail sur le texte, la conception graphique, la réalisation des marionnettes, la construction des décors, la confrontation au plateau a révélé des difficultés que l’équipe a dû résoudre.
De nombreux défis artistiques
Pendant que les deux interprètes, Simon Delattre et Simon Moers, s’échauffent et se concentrent, Tiphaine Monroty, scénographe chargée des costumes et des lumières flanquée de deux stagiaires d’une redoutable efficacité, change un projecteur qui vient de lâcher, met en place un accessoire, repositionne un élément du décor. Aurélie Hubeau, collaboratrice artistique, règle, quant à elle, les derniers préparatifs. C’est en effet le premier « bout à bout » et le dispositif scénique – ingénieux – rend la situation complexe, tant il est riche de propositions, au niveau de la mise en scène comme au niveau de la scénographie et du jeu.
Mike Kenny : un auteur mondialement connu
Pour commencer, on ne « s’attaque » pas à Mike Kenny à la légère ! Salué par The Independant comme étant l’un des dix dramaturges britanniques vivants les plus importants, celui-ci écrit pour le théâtre jeune public depuis une vingtaine d’années et son œuvre, composée d’une centaine de pièces, est jouée partout dans le monde. Il vit et travaille en Grande-Bretagne. À l’occasion de cette création, l’Espace Fernand-Léger de Chevreuse (78460) organisera d’ailleurs des rencontres et une séance de dédicace avec l’auteur samedi 18 janvier.
C’est donc peu de dire que le spectacle Bouh !, dont le texte est publié dans la collection Heyoka jeunesse (coédition Actes Sud-Papiers–CDN de Sartrouville), fait l’objet de toutes les attentions. Que raconte la pièce ? Bouh n’est pas un jeune garçon comme les autres. Atteint d’une forme d’autisme, il vit avec son frère Benny qui lui défend de quitter la maison. Un adolescent et sa petite sœur, intrigués par leur étrange voisin et pour tromper l’ennui des grandes vacances, se lancent le défi d’aller frapper à sa porte. Leur curiosité est d’autant plus grande qu’une rumeur court dans le quartier depuis la disparition de la petite Kelly Spanner. Les deux enfants vont alors jouer à se faire peur devant la maison de Bouh.
Un spectacle ludique sur des enfants livrés à leur destin
Bouh !, c’est le parcours initiatique d’une enfant de onze ans qui prend conscience que les actes, le silence et les mots ont des conséquences irréversibles et que le danger n’est pas forcément là où on l’attend. Elle et son frère mènent une enquête. D’abord, pour s’amuser, puis le jeu devient réalité.
« La langue est simple, la pièce remarquablement construite, les personnages attachants, mais comment aborder un propos si complexe à destination du jeune public ? », commente Simon Delattre. En effet, impossible d’aborder à la légère ces thèmes : la peur de l’Autre, l’ignorance et la cruauté face à la différence. Toutefois, il n’est pas question de « plomber l’ambiance » ! Ce n’est d’ailleurs pas le choix de l’auteur. Son personnage, Bouh, a un grand sens de l’humour reposant souvent sur la dimension absurde de la langue anglaise, que la traductrice, Séverine Magois, s’est évertuée à retranscrire en français.
De plus, les personnages, qui s’amusent à passer du réel à l’imaginaire, et les alternances rapides de situations font de la pièce un véritable terrain de jeu. Les artistes ont imaginé des propositions ludiques : dessiner sa maison à la craie, disparaître par des trappes… que de trouvailles amusantes. Cependant, cette construction dramaturgique aux enchâssements complexes pose de nombreux défis. Sans oublier que les dialogues, nourris d’associations d’idées toniques, imposent un rythme rapide, alors que l’espace scénique est resserré (quatre mètres sur quatre).
Comment parler de la différence ?
Bouh doit-il faire l’objet d’une interprétation particulière ? Déjà, c’est le seul personnage à ne pas être représenté par une marionnette. Là commence sa différence ! Les autres sont représentés par trois types de marionnettes : deux hyperréalistes représentant les enfants à l’échelle humaine, manipulées à vue par les interprètes ; des marionnettes à gaine inversée d’inspiration chinoise (de 60 cm environ) dont la sensibilité organique et la rythmique permettent d’introduire une dimension « cartoon » ; enfin, l’effigie, donc une figurine non articulée, de la taille d’une main, comme celle placée au sommet du casque de Bouh.
Double enfermement
Puisque le texte traite de la propagation de la rumeur, la mise en scène propose différents points de vue grâce aux variations de taille des personnages selon les situations : l’échelle humaine avec les acteurs qui jouent Bouh et Benny, celle des marionnettes, mais aussi celle des maquettes, notamment de la maison, qui change d’apparence tout au long du spectacle. Symbole de l’enfermement, ces maquettes se transforment aussi en castelet où les marionnettes trouvent naturellement leur place.
Les deux groupes isolés se rencontrant très peu, il a effectivement fallu trouver un moyen pour traduire dans l’espace ce double huis clos (aller-retour entre le dehors et le dedans, alternance entre le parc où jouent les deux enfants et la maison où vit Bouh). De plus, les personnages doivent pouvoir évoluer dans un univers cartographié. Bouh, obsédé par les itinéraires, a un besoin perpétuel de repères.
Sans cesse en mouvement, les interprètes dessinent aussi l’espace avec leur corps. Surtout Bouh qui trouve ainsi le meilleur moyen de maîtriser son monde. Les accessoires tiennent un rôle important. Simon propose d’ailleurs de faire un casting pour trouver la bonne paire de ciseaux ! Accessoire indispensable, pour son personnage, sans lequel il ne peut faire ses interminables découpages en papier, « massacrer le journal » selon ses mots. Presque une arme à conviction aux yeux des enfants apeurés. Ce n’est pas Edward aux mains d’argent, ce pauvre Bouh, mais son cousin !
À ce stade, le travail de création est quasiment achevé, mais il reste encore à effectuer quelques recherches sur la fin du spectacle. D’ici là, l’équipe va continuer à chercher le ton juste, le geste qui fait sens, à éprouver les marionnettes sur le plateau. Aurélie Hubeau souhaite également retravailler les patines des marionnettes, mais attention, sans la coiffer : « C’est une petite sauvage, cette gamine ! ». Encore un détail qui a toute son importance…
L’équipe d’Odyssées laisse donc les artistes à leurs occupations. En cette veille de fêtes, beaucoup ont déjà la tête ailleurs… Ce n’est pas le cas de Simon, qui réalise tout d’un coup que le 25 décembre va lui faire perdre une journée de travail : « Ah oui, c’est Noël, au fait ! ».