My Brazza

UNE CARTOGRAPHIE SENSIBLE ECRITE ET DANSEE
POUR QUELQUES METRES CARRES

Entre un cours de maths et de français, Florent Mahoukou débarque devant les élèves pour entamer une relation aussi immédiate qu’inattendue. À chaque représentation de My Brazza, la même histoire : celle de l’interprète lui-même. Pourtant, à chaque fois, c’est un nouveau spectacle. Ce jour-là, la 3°5 du collège Louis-Paulhan de Sartrouville a effectivement vécu un moment à nul autre pareil.

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Création collective

Même s’il s’agit du vécu de Florent Mahoukou, les mots ont été l’affaire de l’auteur Ronan Chéneau. Le metteur en scène David Bobée et les autres collaborateurs artistiques ont aussi contribué à l’élaboration du spectacle, tout comme certains élèves du collège Saint-Exupéry de Vélizy-Villacoublay. Après une immersion à Brazzaville, l’équipe a effectivement répété pendant quatre semaines dans le cadre d’une résidence de création dans cet établissement, en partenariat avec L’Onde – Théâtre et centre d’art. Comme dans un laboratoire, My Brazza s’est donc nourri des réactions des collégiens ayant participé à l’aventure.

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Pour commencer le spectacle, à Sartrouville comme partout ailleurs, les premiers mots de Florent Mahoukou sont plutôt engageants : « Hello ! Welcome ! ». Mais les élèves pouffent. Quoi faire ? Que dire ? C’est qu’ils n’avaient pas prévu de parler anglais ! Heureusement, cet homme-là parle aussi français. Il explique qu’il vient de Brazzaville et c’est justement le sujet de son spectacle. Depuis qu’il est loin de son pays, celui-ci ne quitte jamais son sac à dos. Au cas où ! Il est toujours prêt à rentrer. D’ailleurs, il explique qu’il vit toujours au Congo, même s’il voyage beaucoup pour son métier. Adresses directes, voire emprunt de lunettes pour faire la leçon, d’emblée, le dialogue s’instaure. Spectateurs, les élèves sont aussi figurants, voire acteurs.

Traversés par les mots et les gestes
L’écriture du spectacle découle du fleuve Congo qui traverse Brazzaville, un fleuve tellement important qu’il a donné son nom au pays : « C’est une porte d’entrée pour voyager au cœur de la ville. Frontière géographique entre les deux Congo, le fleuve est aussi un symbole : c’est une force de la nature exceptionnelle que, pourtant, les congolais n’exploitent pas. Il y a aussi dans le fleuve quelque chose lié au mouvement et à la force physique. Parce qu’il est quand même question de quelqu’un qui danse ! » explique Ronan Chéneau.
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Et effectivement chaque mot engage le corps : frénésie de la circulation, l’ambiance survoltée du marché, les gens qui se bousculent… Florent Mahoukou raconte la vie quotidienne. Il explique aussi pourquoi lui, artiste, il quitte son pays pour toujours mieux y revenir. Le chantier permanent. Le chaos organisé. L’apprentissage de la danse sur la plage. Le succès dans les rues, puis dans les théâtres à l’étranger… Il parle beaucoup, ce chorégraphe devenu comédien pour l’occasion.
Sa danse tonique, fluide, libère une énergie qui se propage dans l’assistance. Debout sur les tables, entre les élèves – tout contre eux – dans l’espace de la classe qu’il a fait sien, il trace son chemin en faisant valser les tables, il transmet les rythmes. Les adolescents se projettent, imaginent un pays haut en couleurs, sentent presque les odeurs.
Et quand l’interprète les invite à s’asseoir à même le sol, comme sous les décombres, le ton est subitement à la confidence. Chaque spectateur qu’il a déjà regardé au fond des yeux peut désormais percevoir le pouls de son cœur, surtout qu’il est question des balles qui ont bien failli le traverser lors du génocide. Emotion ! Florent Mahoukou garde des traces des massacres dans sa mémoire vive.

« Le Congo : le plus riche des pays pauvres »
Pendant le temps de la représentation, le cadre de la classe est devenu le lieu d’une rencontre artistique surprenante qui modifie le regard sur le théâtre. La proximité de l’acteur a favorisé l’écoute de ce texte, créant ainsi de bonnes conditions pour susciter des émotions et de la réflexion. Sensibilisés, ces adolescents peuvent ainsi former leur jugement esthétique et critique.
Saturés d’images, connectés en permanence sur les réseaux sociaux, ils ont en effet découvert tout un monde avec ce spectacle. Déjà, ils ont beaucoup appris sur les conditions de vie là-bas. Finis les clichés sur l’Afrique ! Le Congo n’est pas « sous-développé », mais « sous-équipé », rectifie Florent Mahoukou qui ne veut pas renvoyer une image misérabiliste de son pays. « Parlons plutôt d’une Afrique qui se relève, d’un continent riche de promesses ». Après la représentation, les questions fusent lors de la rencontre : « Brazza, la capitale de la France… Quoi ? » s’étonne Alexandra. « Mais tout est vrai ! De Gaulle était en Afrique pendant l’Occupation. Au moment où il s’imposait comme le chef de la résistance, il a fait un discours important à Brazzaville », précise l’interprète. Les collégiens ont ainsi eu le droit à une leçon d’histoire-géographie qu’ils ne sont pas près d’oublier, alors même qu’elle n’est pas inscrite au programme.

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L’art en partage
Touchée par cette « petite histoire » qui croise la grande Histoire, Nawelle s’inquiète : « Et ça ne vous affecte pas trop de raconter votre vie personnelle ? ». « C’est mon témoignage. Dans un parcours, il y a des hauts et des bas, mais il faut toujours avancer. Foncez, vous aussi, vous avez la vie devant vous et sachez saisir votre chance », répond Florent Mahoukou qui veut être constructif, lui qui a retrouvé le goût de la vie grâce à la danse.
De nombreuses questions ont porté sur le parcours de l’interprète, mais celle qui a sans doute le plus touché est celle de Kevine : « Aimes-tu ce que tu fais ? Ta vie te plaît-elle ? », a demandé, dans sa langue locale (le lingala), un jeune garçon né à Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. Arrivé depuis peu en France, celui-ci avait du mal à cacher son émotion. « Ah ! Kevine, t’es trop content de parler à un compatriote, hein ? commente Soukaina, taquine. Tu pourrais aussi montrer comment tu danses parce que t’assures vraiment », renchérit Nawelle. Encouragés par ses camarades, l’élève intimidé a fini par faire une démonstration. Ambiance de battle dans la Salle 6 du collège Louis-Paulhan !

Après tant de générosité de la part de cette équipe artistique, voici un moment de partage comme on en voit souvent en banlieue. C’est aussi une des qualités de ce spectacle : donner à voir la pluralité des facettes du monde dans lequel nous vivons, un monde pluriel, riche de sa diversité.

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