BILAN

Quel voyage ! D’un bout à l’autre du département, que de kilomètres au compteur… Deux mois et demi d’aventures, de découvertes, de rencontres qui se sont poursuivies au-delà puisque, depuis la fin d’Odyssées, le 30 mars, plusieurs équipes de création ont déjà pris la route pour une tournée.

Un programme éclectique qui a su rencontrer un vaste public
La manifestation a poursuivi ses buts avec succès, à commencer par la présentation de 6 créations originales qui illustre la pluralité des écritures et des esthétiques du théâtre pour l’enfance et la jeunesse (théâtre de texte, théâtre de marionnettes, théâtre dansé, théâtre musical…).
Espace livres
Aborder des sujets graves, s’amuser avec des formes ludiques, s’évader… les approches ont été d’une grande diversité. Et les ressources du sensible et du poétique ont été exploitées d’une belle manière, que ce soit Bouh !, petit bijou d’inventivité dont on sort nous aussi, différents ; My Brazza, ou la rage de danser chevillée au corps ; Entre chou et loup, une échappée musicale pleine de facéties ; Le Rêve d’Anna, un rêve théâtralisé qui ouvre grandes les portes de l’imaginaire ; Joséphine (les enfants punis), une bouffée d’oxygène qui peut aider les plus petits à grandir et les adultes à renouer avec leur part d’enfance ; Moby Dick, épopée maritime au long cours. Le public, au rendez-vous, a d’ailleurs apprécié cette richesse et le niveau d’exigence des propositions.
On a entendu parlé d’Odyssées sur les ondes et on a pu lire des comptes-rendus de journalistes qui donnaient effectivement envie de juger sur pièces. Peu ont été déçus du voyage ! Ces retombées dans les médias, renforcées par une belle présence sur Internet et les réseaux sociaux, ont été très profitables. Si le spectacle vivant est constitué de chair et de sang, il n’en est pas moins connecté. Ça nos jeunes, ils l’apprécient. Moi aussi, d’ailleurs, sacrée blogueuse que je suis !
Equipe presse - Théâtre de Sartrouville

Au cœur de l’échange
Mais blague à part… De toutes ces émotions, il m’en reste beaucoup associées aux spectacles, bien sûr, et pas mal aussi liées à des rencontres lors de débats, d’ateliers, notamment pédagogiques, de résidences. Avec l’heureuse sensation d’avoir été au cœur de l’échange. Quoi de plus fort, en effet, que d’entendre des « Oh ! » et des « Ah ! » sortir spontanément de la bouche des plus petits ? Si ! Peut-être de sentir quand ça palpite, quand ça remue à l’intérieur. Quelle joie de voir ces jeunes qui oublient de rallumer leur portable tant ils ont à dire sur le spectacle qu’ils viennent de partager ! Sans parler de la complicité qui se renforce à l’issue de telles expériences et qui laisse espérer un « mieux vivre ensemble ».
Créative, généreuse, conviviale, Odyssées en Yvelines ne prend son sens qu’à travers le partage. Les multiples actions culturelles y ont largement contribué. Des liens concrets se sont tissés entre artistes et publics, toutes générations confondues. Nos reportages n’ont pu restituer qu’une infime partie de ce travail de fourmi accompli par les équipes de création et les différents lieux, en collaboration avec les nombreux partenaires qui ont, tous, joué le jeu. En effet, cet aménagement culturel du territoire départemental n’est possible que grâce à un solide maillage sur le territoire.
Entre chou et loup-Rencontre bib. Andrésy-DR S. Meneghello

Des Yvelines au territoire national
Et ce réseau s’agrandit car des programmateurs ayant assisté aux rencontres professionnelles ont invité certaines compagnies dans leur lieu. Des Yvelines au territoire national : le pari a été tenu ! Près de 300 dates qui permettent à Odyssées de rayonner.
D’abord, au Théâtre de Sartrouville, avec Joséphine (les enfants punis) présenté en mai 2014 et Bouh ! et Entre chou et loup programmés la saison prochaine.
Joséphine (Les Enfants punis) est aussi programmé à l’Agence départementale Dordogne-Périgord, aux Quinconces à L’Espal – Scène conventionnée du Mans, à l’Agora de Billère et au Festival Méli’môme de Reims.
Bouh ! est à l’affiche du Quai d’Angers et du Théâtre de Cachan.
Le Rêve d’Anna a déjà été repris au Théâtre Am Stram Gram à Genève, au Théâtre Gérard-Philipe CDN de Saint-Denis et au Théâtre Jean-Arp de Clamart ; il sera ensuite programmé, notamment au TJP-CDN d’Alsace à Strasbourg, au CDR de Tours, au Théâtre de Villefranche, au Théâtre du Nord à Lille,  au Théâtre Gérard-Philipe de Frouard, au Théâtre de Bourg-en-Bresse et au Théâtre d’Arles.
Entre chou et loup (Concert détonnant) passera par le Théâtre des 7 Collines de Tulle, L’Hippodrome de Douai, Le Quai d’Angers, Pessac en scènes, le Théâtre de la Ville de Paris, la Maison de la culture de Bourges, La Comète à Châlons-en-Champagne, l’Espace Malraux de Chambéry et le CDN de Sartrouville…
Moby Dick a été joué à La Comédie de Saint-Etienne, au Théâtre de Villefranche-sur-Saône, au Théâtre de Roanne, à la Comédie de Caen-CDN, au Théâtre national de Nice-CDN. Il sera repris en septembre 2014 au Théâtre Am Stram Gram de Genève, puis au CDN de Haute-Normandie, au Quai des Rêves-Centre culturel de Lamballe, au Carré de Sainte-Maxime, aux Scènes du Jura-Scène nationale de Lons-le-Saunier, au Dôme Théâtre à Albertville, à la Scène nationale de Bayonne Sud-Aquitain et au Centre culturel André Malraux d’Hazebrouck.
Enfin, My Brazza poursuit sa route dans les collèges de Normandie, ainsi qu’à Valence, Douai, Martigues, Décines et Châlons-en-Champagne, Châlons-sur-Saône, Foix, Charleville-Mézières et dans les côtes d’Armor.
Voilà un beau programme de réjouissance en perspective ! Au fait, moi, je les suivrai bien sur les routes de France et d’ailleurs…
Mais déjà, la prochaine biennale est en préparation. Et tenez-vous bien : c’est la dixième édition avec 7 créations d’ores et déjà en chantier.
Janvier 2016 : j’ai le temps quand même… Pour un petit tour de France !

Et si on donnait la parole aux enfants ?

LE RÊVE D’ANNA

Odyssées en Yvelines s’est ouvert avec Le Rêve d’Anna. Nous finissons le tour d’horizon des 6 créations présentées dans la biennale en donnant la parole aux enfants sur cette pièce d’Eddy Pallaro, une fable sociale qui regarde le monde depuis le rêve, et qui leur parle. La preuve !

Attendue, la dernière création de la Compagnie trois-six-trente a été saluée par la presse. Parmi les articles, celui de Télérama Sortir : « Bérangère Vantusso met joliment en scène le quotidien qui se nourrit des songes et l’effacement progressif du rêve et de la réalité ».
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Réactions des CM1 de l’École élémentaire des Grandes-Terres
à Conflans-Sainte-Honorine

Les enfants semblent aussi avoir apprécié. Ce jour-là, comme de nombreuses autres classes, les CM1 de l’École élémentaire des Grandes-Terres à Conflans-Sainte-Honorine ont assisté à une représentation du Rêve d’Anna au Théâtre Simone Signoret. L’attention était palpable dans la salle et les échanges fructueux après, sur l’esplanade du Théâtre. Corentin, Enzo, Ethen, Inès, Jade, Maya, Ryan et leurs camarades ont réagi à chaud :
– J’ai bien aimé comment Anna et son père se parlaient. Ils faisaient bien la pièce de théâtre tous les deux !
– Quand même ! Le père ne s’occupait pas assez de sa fille à cause du chômage. Alors qu’elle, elle l’aide beaucoup…
– Grâce au cheval.
– Non, en disant des mots !
– C’est le cheval qui encourage le père.
– Non, c’est Anna qui a inventé le cheval. Il est dans ses rêves.
– Le cheval, il n’a jamais dit au père qu’il allait trouver du travail. C’est Anna qui a trouvé cette idée pour l’aider.
– Bah ! Anna, elle ment en fait…
– Oui mais elle aide son père. Pourtant, lui, il laisse sa fille de côté au début. Moi, j’ai bien aimé leur relation, comment elle change !
– La scène était marrante quand le père se fait arnaquer par les deux messieurs habillés en rouge.
– Et aussi quand le père est bourré ou quand il est à quatre pattes !
– Moi, ce que j’ai préféré, c’est la bataille d’oreillers.
– C’était trop marrant aussi quand la fille a crié en allant dans le trou et quand le taureau tapait sur la lune.
– Moi, j’ai bien aimé, surtout quand le taureau est apparu. Mais j’ai quand même pas tout compris…
– Moi, ça m’a fait peur ce moment-là. Comment ils ont fait le bruit, en fait ?
– Le rideau qui bougeait, c’était impressionnant ! Mais après quand on voit que le taureau, il a du mal à aller dans les têtes, on a moins peur.
– Le taureau, on l’entend beaucoup, mais on le voit pas…
– C’était bien… mais j’ai un petit bémol : j’aurais préféré voir une comédienne jouer la petite fille, plutôt qu’une marionnette. Surtout qu’on voyait les gens la manipuler.
– En plus, ce n’était pas amusant de voir les comédiens parler à la place des marionnettes.
– Des fois, c’était bizarre…
– En tout cas, ça existe vraiment ces histoires ! Je connais un peu le problème. Ça me rappelle ma mère qui m’a raconté son cauchemar. Dans son rêve, elle était tombée dans un trou noir. Elle m’a même dit qu’elle voulait aller voir un docteur.
Ecole élémentaire

Des graines de critique, ces enfants-là !
Ces gamins d’une dizaine d’années ont bien perçu les principaux enjeux de la pièce. Certes, un vrai travail pédagogique effectué en amont y a largement contribué : « En classe, les enfants ont lu, à haute voix, des extraits de la pièce. Ils apprécient beaucoup d’entendre ensuite ces répliques dans la bouche des comédiens. Ça résonne plus fort ! », explique leur institutrice. « La pièce a aussi été l’occasion d’aborder des thèmes philosophiques tels le bonheur, l’importance du travail dans la vie, les relations familiales. De retour à l’école, ils écriront un petit texte, feront un dessin, en guise de bilan ».
Tout un travail en effet, mais ces enfants-là savent aussi prolonger le plaisir du spectacle vivant en exprimant spontanément les fortes émotions qu’ils ont vécues durant la représentation. Et je peux le confirmer, moi qui étais juste à côté d’eux. Si ça tanguait sur scène – espace du rêve et de la réalité – ça a également bien vibré, cette salle pleine d’enfants ! Comme quoi la jeunesse est réceptive à la puissance subversive du rêve, formidable tremplin pour repenser le monde.

Performance musicale et dramatique

Avec Entre chou et loup (Concert détonnant), le duo Myssil présente un concert atypique. S’aventurant sur le terrain du théâtre musical, Sylvaine Hélary, flûtiste, et Noémi Boutin, violoncelliste, invitent les plus petits dans un univers singulier où la fantaisie et la poésie aident à apprécier la musique contemporaine à sa juste valeur.
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Entre compositions inspirées et digressions savoureuses, ce concert nous embarque dans une ballade bien poétique. Les deux musiciennes ont invité plusieurs compositeurs à leur écrire une œuvre : Albert Marcœur, figure iconoclaste du rock avant-gardiste des années 1975-1980, qui ne s’est pas assagi depuis ; Sylvain Lemêtre, compositeur qui aborde avec le même plaisir la musique pointue, archaïque, minimale, outrancière, urbaine ; Marc Ducret, autodidacte de talent, dont l’intérêt pour la littérature et le théâtre le fait étroitement mêler texte, musique, voix et rythme. Mixant avec finesse fables bouleversantes et polyrythmies endiablées, Sylvaine Hélary et Noémi Boutin explorent aussi la musique nourrie d’un exotisme imaginaire de François Sarhan et de Frédéric Aurier, ainsi que les textures bruitées ou limpides de Kaija Saariaho.
Ces écritures bigarrées, auxquelles répondent leurs improvisations, parlent des joies ou des peines de l’aventure humaine. Les musiciennes causent aussi de leurs soucis d’instrumentistes poussées à bout et se chamaillent. Entre amitié et jalousie, leur relation n’est effectivement pas dénuée de fourberie. Emportées par l’indiscipline de leurs émotions, elles entraînent le public dans un univers décalé et onirique qui va du conte antique à celui, ultra-contemporain, du concert de gifles.
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« L’art est un jeu d’enfant. » (Max Ernst)
Ces deux enfants terribles ont l’art et la manière de faire apprécier les morceaux de leur prédilection. Riches de leur parcours diversifié (musique classique, contemporaine, jazz, improvisée), les deux jeunes femmes osent les plus hautes figures de voltige, devant les enfants ébahis. Leur complicité musicale est le meilleur prétexte pour raconter ces « histoires de fous » lardées de chats et de choux. La mise en scène, ponctuée de nombreuses surprises, laisse partir le récital en vrille. Les interprètes s’amusent et le public en redemande !
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Ce jour-là, les classes de CP-CE1 et de CM2 de l’école élémentaire Le Parc à Andrésy ont effectivement exprimé leur enthousiasme : « Elles sont vraiment drôles. Elles ne se prennent pas au sérieux comme souvent dans la musique classique. Moi, quand je vais au Conservatoire, mon prof il rigole jamais ! », explique une des élèves. » « Moi, j’ai aimé le jeu avec les mots et les trucs bizarres que font les musiciennes. J’ai pas trop l’habitude d’écouter ce genre de musique, mais c’est passé tout seul », réagit sa copine.
Après chaque représentation, les questions fusent : « Pourquoi ces instruments ? Que signifie le titre ? Et quand les animaux se mettent à délirer en couinant en rythme, c’est vraiment écrit sur la partition ? » Mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher, les deux comparses contribuent ainsi à sensibiliser les enfants à un genre trop souvent mal-aimé. Elles creusent leur sillon, de manière très personnelle, et sèment des petites graines de passion qui devraient germer à la belle saison.

MOBY DICK

UN COMBAT DE LEGENDES, UNE QUETE METAPHYSIQUE

Avec Moby Dick, d’après Herman Melville, l’adaptateur Fabrice Melquiot et le metteur en scène Matthieu Cruciani invitent petit et grands à s’embarquer pour le « grand ailleurs ».
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Qui des enfants ou des parents sont les plus émerveillés par ce spectacle ? Difficile à dire. Ce soir-là, au Théâtre Alexandre-Dumas de Saint-Germain-en-Laye, les plus jeunes ont vécu les émotions en même temps que l’équipage du Pequod lancé à la poursuite de Moby Dick dont le Capitaine Achab a juré de se venger : la soif d’aventures et l’excitation, la peur face à l’animal féroce, les doutes et les joies, l’espoir et la tristesse. Aujourd’hui encore, les baleines continuent de fasciner, même si elles sont dorénavant une espèce protégée. Les profondeurs et les entrailles de la mer conservent aussi leur mystère. Et faut dire que le capitaine est impressionnant de cruauté…

Sur les flots
Les parents, eux, ont été soufflés par l’adaptation, fidèle à l’esprit de Melville, et à la force d’évocation des images dont a parfaitement su tirer parti le metteur en scène Matthieu Cruciani. Sacré défi, en effet que de raconter et faire vivre ce périple maritime, depuis le jeu avec les vagues jusqu’au naufrage ! On entend presque le clapotis, on sent l’air iodé… C’est tout juste si on n’a pas le mal de mer car ça tangue fort à un moment sur le plateau. Et quand arrive enfin le face à face, le public tombe sous le choc : lors de l’ultime combat, la baleine est représentée par une femme ! L’histoire d’Achab n’est-elle pas celle d’une passion amoureuse ? En quête de « la Garce », le Capitaine finit par succomber à ses charmes. Moment de grâce et de poésie.
Fabrice Melquiot a su porter à la scène ce roman foisonnant de 500 pages en une pièce de 94 pages pour un spectacle d’une heure, en tout et pour tout. Il a mené ses personnages au bout du monde sans ôter la dimension morale de la lutte contre les monstres et de la vie en communauté : « C’est un chœur de marins qui cherche tout un monde, le monde entier, dans une baleine blanche », explique le metteur en scène. Cette adaptation n’est donc pas une réduction. En alliant fable et pensée, l’auteur satisfait d’ailleurs aussi bien la sensibilité de l’enfance que la quête existentielle des adultes.
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« Ishmaël : N’importe quel homme porte en lui des bars, une plage de sable et ses semblables. Les rêves ne pèsent rien. »
Ici, pas de dispositif scénographique sophistiqué. Dans un décor de cinéma rétro, avec de l’origami, des grands pans de tissu, Ishmaël et ces autres personnages mythiques prennent vie sous nos yeux. Quand ceux-ci nous décrivent les horizons lointains depuis la vigie, nous prenons le large avec eux. On traverse l’océan et ses plaines liquides, on espère atteindre le ciel immense et ses cachalots géants, on affronte la foule bigarrée et les tempêtes, plus vrais que nature. C’est l’artisanat qui a présidé aux choix et c’est heureux car cela éveille l’imaginaire. Point de réalisme, ni de nouvelles technologies. Voilà de quoi nous faire rêver pendant longtemps…

My Brazza

UNE CARTOGRAPHIE SENSIBLE ECRITE ET DANSEE
POUR QUELQUES METRES CARRES

Entre un cours de maths et de français, Florent Mahoukou débarque devant les élèves pour entamer une relation aussi immédiate qu’inattendue. À chaque représentation de My Brazza, la même histoire : celle de l’interprète lui-même. Pourtant, à chaque fois, c’est un nouveau spectacle. Ce jour-là, la 3°5 du collège Louis-Paulhan de Sartrouville a effectivement vécu un moment à nul autre pareil.

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Création collective

Même s’il s’agit du vécu de Florent Mahoukou, les mots ont été l’affaire de l’auteur Ronan Chéneau. Le metteur en scène David Bobée et les autres collaborateurs artistiques ont aussi contribué à l’élaboration du spectacle, tout comme certains élèves du collège Saint-Exupéry de Vélizy-Villacoublay. Après une immersion à Brazzaville, l’équipe a effectivement répété pendant quatre semaines dans le cadre d’une résidence de création dans cet établissement, en partenariat avec L’Onde – Théâtre et centre d’art. Comme dans un laboratoire, My Brazza s’est donc nourri des réactions des collégiens ayant participé à l’aventure.

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Pour commencer le spectacle, à Sartrouville comme partout ailleurs, les premiers mots de Florent Mahoukou sont plutôt engageants : « Hello ! Welcome ! ». Mais les élèves pouffent. Quoi faire ? Que dire ? C’est qu’ils n’avaient pas prévu de parler anglais ! Heureusement, cet homme-là parle aussi français. Il explique qu’il vient de Brazzaville et c’est justement le sujet de son spectacle. Depuis qu’il est loin de son pays, celui-ci ne quitte jamais son sac à dos. Au cas où ! Il est toujours prêt à rentrer. D’ailleurs, il explique qu’il vit toujours au Congo, même s’il voyage beaucoup pour son métier. Adresses directes, voire emprunt de lunettes pour faire la leçon, d’emblée, le dialogue s’instaure. Spectateurs, les élèves sont aussi figurants, voire acteurs.

Traversés par les mots et les gestes
L’écriture du spectacle découle du fleuve Congo qui traverse Brazzaville, un fleuve tellement important qu’il a donné son nom au pays : « C’est une porte d’entrée pour voyager au cœur de la ville. Frontière géographique entre les deux Congo, le fleuve est aussi un symbole : c’est une force de la nature exceptionnelle que, pourtant, les congolais n’exploitent pas. Il y a aussi dans le fleuve quelque chose lié au mouvement et à la force physique. Parce qu’il est quand même question de quelqu’un qui danse ! » explique Ronan Chéneau.
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Et effectivement chaque mot engage le corps : frénésie de la circulation, l’ambiance survoltée du marché, les gens qui se bousculent… Florent Mahoukou raconte la vie quotidienne. Il explique aussi pourquoi lui, artiste, il quitte son pays pour toujours mieux y revenir. Le chantier permanent. Le chaos organisé. L’apprentissage de la danse sur la plage. Le succès dans les rues, puis dans les théâtres à l’étranger… Il parle beaucoup, ce chorégraphe devenu comédien pour l’occasion.
Sa danse tonique, fluide, libère une énergie qui se propage dans l’assistance. Debout sur les tables, entre les élèves – tout contre eux – dans l’espace de la classe qu’il a fait sien, il trace son chemin en faisant valser les tables, il transmet les rythmes. Les adolescents se projettent, imaginent un pays haut en couleurs, sentent presque les odeurs.
Et quand l’interprète les invite à s’asseoir à même le sol, comme sous les décombres, le ton est subitement à la confidence. Chaque spectateur qu’il a déjà regardé au fond des yeux peut désormais percevoir le pouls de son cœur, surtout qu’il est question des balles qui ont bien failli le traverser lors du génocide. Emotion ! Florent Mahoukou garde des traces des massacres dans sa mémoire vive.

« Le Congo : le plus riche des pays pauvres »
Pendant le temps de la représentation, le cadre de la classe est devenu le lieu d’une rencontre artistique surprenante qui modifie le regard sur le théâtre. La proximité de l’acteur a favorisé l’écoute de ce texte, créant ainsi de bonnes conditions pour susciter des émotions et de la réflexion. Sensibilisés, ces adolescents peuvent ainsi former leur jugement esthétique et critique.
Saturés d’images, connectés en permanence sur les réseaux sociaux, ils ont en effet découvert tout un monde avec ce spectacle. Déjà, ils ont beaucoup appris sur les conditions de vie là-bas. Finis les clichés sur l’Afrique ! Le Congo n’est pas « sous-développé », mais « sous-équipé », rectifie Florent Mahoukou qui ne veut pas renvoyer une image misérabiliste de son pays. « Parlons plutôt d’une Afrique qui se relève, d’un continent riche de promesses ». Après la représentation, les questions fusent lors de la rencontre : « Brazza, la capitale de la France… Quoi ? » s’étonne Alexandra. « Mais tout est vrai ! De Gaulle était en Afrique pendant l’Occupation. Au moment où il s’imposait comme le chef de la résistance, il a fait un discours important à Brazzaville », précise l’interprète. Les collégiens ont ainsi eu le droit à une leçon d’histoire-géographie qu’ils ne sont pas près d’oublier, alors même qu’elle n’est pas inscrite au programme.

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L’art en partage
Touchée par cette « petite histoire » qui croise la grande Histoire, Nawelle s’inquiète : « Et ça ne vous affecte pas trop de raconter votre vie personnelle ? ». « C’est mon témoignage. Dans un parcours, il y a des hauts et des bas, mais il faut toujours avancer. Foncez, vous aussi, vous avez la vie devant vous et sachez saisir votre chance », répond Florent Mahoukou qui veut être constructif, lui qui a retrouvé le goût de la vie grâce à la danse.
De nombreuses questions ont porté sur le parcours de l’interprète, mais celle qui a sans doute le plus touché est celle de Kevine : « Aimes-tu ce que tu fais ? Ta vie te plaît-elle ? », a demandé, dans sa langue locale (le lingala), un jeune garçon né à Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. Arrivé depuis peu en France, celui-ci avait du mal à cacher son émotion. « Ah ! Kevine, t’es trop content de parler à un compatriote, hein ? commente Soukaina, taquine. Tu pourrais aussi montrer comment tu danses parce que t’assures vraiment », renchérit Nawelle. Encouragés par ses camarades, l’élève intimidé a fini par faire une démonstration. Ambiance de battle dans la Salle 6 du collège Louis-Paulhan !

Après tant de générosité de la part de cette équipe artistique, voici un moment de partage comme on en voit souvent en banlieue. C’est aussi une des qualités de ce spectacle : donner à voir la pluralité des facettes du monde dans lequel nous vivons, un monde pluriel, riche de sa diversité.

Mike Kenny à Chevreuse

Mike Kenny, parmi les plus importants dramaturges britanniques vivants, écrit pour le théâtre jeune public depuis une vingtaine d’années. Il vit et travaille en Grande-Bretagne, mais son œuvre est jouée partout dans le monde. Sa venue à Chevreuse à l’occasion de la création de Bouh !, l’une de ses pièces, a donc été un événement.

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Chevreuse en effervescence
À cette occasion, l’ALC (Accueil Loisirs Culture), partenaire d’Odyssées depuis trois ans, a mis en place des actions culturelles, notamment avec le collège Pierre de Coubertin. Onze classes ont ainsi pu assister au travail de création et échanger avec l’équipe qui était en résidence à Chevreuse. La bibliothèque municipale Jean-Racine s’est également associée à ce vaste projet en consacrant une séance des Graines de critiques à l’auteur. Les enfants et le public ont pu poser de nombreuses questions à Mike Kenny.   >>> voir la vidéo
Autre occasion d’échanges : la séance de dédicace avec l’auteur organisée à la librairie Les Racines du vent qui a dû commander de nombreux exemplaires du texte publié dans la collection Heyoka jeunesse (coédition Actes Sud-Papiers – CDN de Sartrouville).

Bouh ! Rencontre Mike Kenny Chevreuse

L’adaptation avec des marionnettes de Simon Delattre : une première
Enfin, une rencontre a été organisée après la représentation de Bouh ! au gymnase Fernand-Léger. Inutile de vous dire que l’équipe avait le trac ! Venu exprès pour cette première adaptation avec des marionnettes, Mike Kenny était en effet très curieux de découvrir cette création originale. Séverine Magois, qui connaît bien l’auteur pour retranscrire en français sa langue simple et efficace, faisait la traduction simultanée.
Tout d’abord, il a été évoqué l’origine de cette pièce qui interroge l’acceptation de la différence : Bouh ! est en effet le fruit d’une commande d’une compagnie anglaise dont tous les acteurs souffraient d’une difficulté d’apprentissage. Et que montre la pièce ? Davantage que le jeune homme « anormal » dont il est question, Bouh, un jeune homme atteint d’une forme d’autisme, ce sont les autres enfants, ceux du dehors, qui semblent désarmés face à l’autre.
La pièce tantôt grave, tantôt drôle, s’aventure dans une zone sensible, celle des fantasmes générés par la peur. Suite à la disparition d’une petite fille, on assiste à l’acharnement de la population contre Bouh dont les obsessions vont justement faire enfler la rumeur. Loin d’être « demeuré », celui-ci est pourtant cloîtré chez lui ! Le mensonge, l’intolérance, la pédophile, voilà autant de thèmes que les invités de la rencontre ont abordés, en faisant bien ressortir les différents niveaux de lecture de la pièce. Simon Delattre, l’un des interprètes également metteur en scène, a d’ailleurs expliqué certains de ses parti-pris artistiques, en insistant sur ses mises en abyme.
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Les spectateurs, nombreux à être restés à cette rencontre, ont exprimé leurs émotions face à cette histoire poignante non départie de joie, même si le jeu d’espionnage des enfants s’avère dangereux et débouche sur une grosse bêtise. Car Bouh, qui ne se considère pas comme un « débile, mais juste paralysé du cerveau », est complètement décalé et fait souvent des blagues. Beaucoup ont aussi apprécié le dispositif scénographique ingénieux et les nombreuses idées ludiques qui empruntent au langage cinématographique, avec ses cadrages et son art du montage. Des choix qui ne sont pas non plus sans rappeler la puissance poétique de l’art brut.
Sur ce terrain de jeu, les interprètes s’amusent d’ailleurs beaucoup. Et ce soir-là, avec la présence exceptionnelle de l’auteur, encore plus que d’habitude, comme en témoignent les dédicaces.

« Protéger l’enfance, ce n’est pas la réduire »

ENTRETIEN AVEC ANNA NOZIERE

Anna Nozière propose un théâtre exigeant dont la singularité séduit aussi les enfants. La preuve avec Joséphine (Les Enfants punis) qui s’adresse au jeune public dès 6 ans. Vivant – vital même – ce spectacle transmet, par son énergie et sa puissance, une bouffée d’oxygène qui peut aider les plus petits à grandir et les adultes à renouer avec leur part d’enfance.

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C’est la première fois que vous écrivez et montez une pièce jeune public. Quelle a été votre démarche ?
Avant de construire le spectacle Joséphine (Les Enfants punis), mon équipe et moi nous sommes longuement interrogés sur ce que nous allions montrer au public. Nous ne voulions pas nous pencher vers les enfants, comme on se pencherait vers quelque chose de plus petit que nous. Nous souhaitions, comme toujours, porter haut l’exigence artistique, rien dans l’âge du public ne justifiant de présenter une œuvre au rabais.
Enfin, comme metteure en scène, je tenais à placer les enfants comme je place les adultes dans les spectacles qui les concernent : face à leur intelligence sensible, à leur capacité à saisir un monde dont ils ne connaissent pas nécessairement les codes. C’est dans ce sens que nous avons travaillé.

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Cette histoire peut remuer : au fond du placard des enfants punis, Joséphine, la reine des bêtises, vit une formidable aventure peuplée de drôles de créatures. C’est joyeux, mais il est aussi question de la peur de l’abandon, de la séparation, de la mort. Vous n’avez pas craint de terrifier les enfants ?
Depuis la création en janvier, presque deux mille enfants « à partir de 6 ans » se sont plongés avec effroi et jubilation dans le monde de Joséphine, avant de s’interroger avec nous sur ce qu’ils venaient de voir, au bord du plateau. Ce fut de très heureuses rencontres. De même, Lorsqu’enfants et parents ont regardé ensemble le spectacle, ils nous ont exprimé leur gratitude. C’est bon de rire (et parfois de pleurer) en famille, de la même histoire.
Cependant, il est arrivé que Joséphine pose une question aux adultes qui ont fréquenté le spectacle en l’absence d’enfants dans la salle : ce spectacle – qu’ils ont par ailleurs très bien accueilli – est-il bien adapté aux plus petits (6 ans) ?
Derrière cette question se cache plusieurs autres questions : ce spectacle n’est-il pas trop complexe ? Trop triste par endroits ? Ne fait-il pas trop peur ?
Comme si, de l’enfance, rien n’appartenait à la complexité, à la tristesse ou à la peur, ou qu’il faille l’en protéger.

Joséphine - Rencontre MQ Guyancourt

Forte de l’expérience de la tournée, pourriez-vous justement nous expliquer comment les enfants ont reçu ce spectacle ?
Les aventures de Joséphine concernent et touchent les enfants, et pas seulement parce qu’ils s’amusent de ses bêtises, qu’ils aiment tant cette grande épée bleue ou rêvent eux-mêmes d’un bateau, d’une île où il ferait bon vivre. Mais aussi, m’a-t-il semblé, parce que le récit est traversé par un lot de sentiments complexes et contradictoires qui refusent de choisir leur camp et disent dans le même temps : être enfant est merveilleux, être enfant est violent.
Les plus petits saisissent cela. En comparaison avec les adultes ou « les plus grands », ils ne comprennent pas moins bien le spectacle. Et, parfois, ils le comprennent mieux.

Que retirez-vous de cette expérience ?
Dans cette rencontre avec le jeune public, il ne m’est jamais apparu aussi clairement combien il doit être nécessaire d’accorder aux enfants l’occasion de se confronter à des œuvres qui n’ont pas pour fonction de simplifier le monde. Non pas seulement pour raconter une histoire qui les ferait grandir, mais parce que l’artiste qui craindrait d’aborder des sentiments profonds, complexes, contradictoires et chaotiques, nierait la réalité de l’enfance. Or, pourquoi s’adresser aux enfants, si ce n’est pour les reconnaître dans la complexité de leurs ressentis ?
Voilà, si je devais le résumer en quelques mots, ce que m’a appris cette expérience : protéger l’enfance, ce n’est pas la réduire.
À chaque adulte qui aurait peur d’un théâtre jeune public qui tente, comme nous l’avons souhaité, d’aborder au plus près cette enfance, je lance le pari de venir voir Joséphine (Les Enfants punis) avec un enfant de 6 ans sur les genoux !

LES CIRCUITS PROFESSIONNELS

LES CIRCUITS PROFESSIONNELS :
2 JOURS POUR DECOUVRIR LES 6 CREATIONS

Depuis leur création en janvier, les 6 spectacles de la 9e édition d’Odyssées en Yvelines circulent d’un bout à l’autre du département. L’aventure continue jusqu’au 30 mars sur tout le territoire. En plus du public, près d’une centaine de professionnels ont pu découvrir la programmation et assister à des rencontres lors de deux circuits organisés à leur intention dans plusieurs établissements culturels partenaires de la biennale qui accordent une importance capitale au jeune public.

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Voir les 6 créations en 2 jours… Top chrono !
Je ne suis pas seule à sillonner le territoire ! Sauf que mon aventure dure près de trois mois, tandis que les professionnels invités à ces circuits, eux, ont deux jours top chrono pour assister à l’ensemble des spectacles.
C’est Place de l’Étoile, dans un grand bus affrété pour l’occasion que l’aventure commence ! Près de 120 programmateurs, responsables d’actions culturelles et journalistes de toute la France ont donc pris place les 6 et 7 février derniers en direction des Yvelines. Une destination très prisée en ces temps d’Odyssées ! Pas de temps à perdre, surtout que pour commencer ce beau programme, l’ONDA (Office nationale de diffusion artistique) propose une rencontre nationale avec deux tables rondes animées par Sylvain Maurice, directeur du CDN de Sartrouville et Dominique Bérody, délégué général jeunesse et décentralisation en Yvelines.
L’équipe du Prisme d’Élancourt a donné le ton : ce théâtre qui programme une sélection diversifiée de 40 spectacles pour la famille est également pôle de ressources pour les jeunes, les enseignants, les amateurs, les partenaires. Normal, donc, que ce haut lieu d’échanges et de réflexion souhaitant partager des expériences artistiques accueille ces rencontres nationales.
En ouverture, Sylvain Maurice rappelle d’abord qu’il a découvert la marionnette comme praticien grâce à la biennale. D’où son attachement à cette manifestation qu’il souhaite « faire bouger ». Si le théâtre y reste central, Odyssées s’ouvre à d’autres disciplines et propose des créations originales où l’art dramatique s’acoquine avec la danse, la musique, les arts plastiques.

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Les thèmes des tables rondes :
- La place de la création jeune public dans un parcours d’artiste ;
- Les publics, les propos et l’adresse. 
Avec l’augmentation du nombre de projets destinés au jeune public, il est en effet intéressant de se pencher sur les motivations des artistes qui s’y consacrent et sur leurs démarches. Pour témoigner de ces évolutions, tous les champs de la création ont été abordés grâce à la présence de :
Sandrine Anglade (directrice de compagnie, metteure en scène de théâtre
et d’opéra, artiste associée à la Scène nationale de Besançon)
Noémi Boutin (violoncelliste, membre du duo Myssil, créatrice, avec Sylvaine Hélary,
de Entre chou et loup)
Fabrice Melquiot (auteur de nombreuses pièces pour la jeunesse publiées
à l’École des Loisirs et chez L’Arche éditeur, dont l’adaptation de Moby Dick,
directeur du Théâtre Am Stram Gram de Genève – Centre international de création pour l’enfance et la jeunesse)
Eddy Pallaro (auteur du Rêve d’Anna publiée dans la collection Heyoka jeunesse, coédition Actes Sud-Papiers – CDN de Sartrouville)
Matthieu Roy (directeur artistique de la Cie du Veilleur, artiste associé au TAP –
Scène nationale de Poitiers)
Estelle Savasta (auteure publiée aux éditions Lansman et à l’École des Loisirs,
directrice de la Compagnie Hyppolyte a mal au cœur, metteure en scène)
Cyril Teste (directeur artistique du Collectif MxM, artiste associé au Centquatre à Paris, au TGP – CDN de Saint-Denis et à la Scène nationale de Cavaillon)
Bérangère Vantusso (directrice de la Compagnie trois-six-trente, membre
de l’Ensemble artistique du Théâtre de Sartrouville, metteure en scène du Rêve d’Anna)

Retrouver l’enfance de l’art
La question du destinataire est-elle un prérequis de l’œuvre ? Comment répondre à cette contrainte, si c’en est une ? Plusieurs points de vue ont été défendus comme celui de Fabrice Melquiot, qui a publié, à ce jour, 17 pièces identifiées jeunesse (sur 42 textes) : « J’écris à partir de l’enfant, et non pas pour lui », précise cet auteur qui ne pense donc pas à l’enfant comme destinataire dans son processus d’écriture, même si celui-ci l’obsède. Quant à Noémi Boutin, elle associe l’enfant à sa démarche en instaurant une relation complice permettant de faire découvrir les musiques contemporaines, de démystifier les protocoles : « Je travaille avec et non pour les enfants ». « Dans mon travail, le destinataire ne précède pas non plus le geste », confirme Estelle Savasta. «
Doit-on modifier le propos, le vocabulaire, en même temps que son adresse ou son regard ? » se demande Sylvain Maurice. En tout cas, cela peut autoriser certains metteurs en scène « sérieux » à se dérider : « Je pense à Joël Pommerat dont ses adaptations de contes pour enfants ont rendu son théâtre moins sombre. En ce qui me concerne, la marionnette jeune public m’a ouvert des horizons, m’a donné certaines libertés. Pour moi, ce n’est donc pas une contrainte. »
Dans le cadre d’ateliers menés avec les enfants, Cyril Teste reconnaît avoir trouvé de nouvelles sources d’inspiration et des approches adaptées. Lui qui développe une démarche souvent estampillée « nouvelles technologies » exploite systématiquement les ressources de la vidéo dans ces spectacles. Or, ses outils numériques ont trouvé une autre résonnance sur le plateau grâce à l’utilisation que les enfants en ont au quotidien. Mais il n’a pas pour autant renoncé à un long plan séquence, même pour des enfants de 6 ans, tout à fait en mesure, selon lui, de se laisser aller à la contemplation : « C’est efficace pour contrer le consumérisme qui les menace déjà tout petits », clame-t-il.
Justement, Fabien Jannelle, directeur de l’ONDA, traduit ces propos par une crainte légitime des artistes de considérer les enfants comme une « cible marketing » : « Dans l’acte de création, cela me semble difficile d’ignorer le jeune public avec ses réactions spécifiques, ces incompréhensions face à des mots d’adulte ou des sujets complexes ! Tous ces témoignages témoignent en revanche d’une préoccupation commune majeure : rester sincère pour faire œuvre d’art. » Estelle Savasta reconnaît qu’écrire pour l’enfance « induit des changements inconscients ».

L’enfant, partenaire à part entière
L’enfant est aussi ce fantôme qui erre en chacun de nous. Jean Genet ne disait-il pas « Créer, c’est toujours parler de l’enfance » ? Sans doute Bérangère Vantusso a-t-elle puisé dans sa mémoire de quoi mettre en scène la relation entre une enfant et son père traitée dans Le Rêve d’Anna. Si elle avoue ne pas s’être posée la question de l’adresse et n’avoir rien changé à son processus de création, la metteure en scène, connue pour présenter un théâtre de sensations, précise quand même avoir, pour la première fois, raconté une histoire avec cette pièce d’Eddy Pallaro : « Le plus dur a été de trouver le « bon » sujet pour que l’enfant puisse s’identifier. Jusqu’à mon coup de cœur pour ce texte qui permet la coexistence de deux univers (les animaux pour les enfants et le monde de l’entreprise pour les adultes). C’est un spectacle à plusieurs niveaux où chacun est en mesure de s’y retrouver. Ainsi, cela ne m’empêche pas de prendre l’enfance à rebrousse poil car je fais de la marionnette, mais pas pour le jeune public ! C’est mon manifeste. Je m’autorise aussi à aborder des choses âpres avec eux car l’enfance n’est pas toujours facile à vivre. Les problèmes sociaux évoqués dans le Rêve d’Anna en témoignent ».
Fabrice Melquiot, quant à lui, ne s’autorise pas la gravité : « Certes, on peut aborder tous les sujets avec la même exigence. Si l’on peut se demander quel monde on laisse à nos enfants, la seule règle que je m’impose toutefois : ne pas insulter leur avenir en leur présence. Rester optimiste ! ».
« La ligne de partage entre le rêve et le cauchemar est ténue ! », comme le souligne Dominique Bérody. Et c’est précisément l’imaginaire qui permet de transcender celle-ci, grâce aux ressources du sensible et du poétique. Faisons donc confiance aux enfants pour faire la part des choses.

Exigence, engagement, respect
Créer pour le jeune public, ce n’est pas baisser son niveau d’exigence. Malgré l’innocence de ces spectateurs et le plaisir des formes souvent ludiques, tous ces artistes cherchent à se mettre à la hauteur de l’imaginaire de l’enfant. Quel que soit l’âge du public auquel ils s’adressent, tous font preuve du même engagement avec la recherche de l’œuvre la plus juste et la plus épurée.
Matthieu Roy place d’ailleurs la barre très haut en expliquant qu’il ne faut surtout pas rater ce rendez-vous : « Quelle responsabilité en effet que de toucher, souvent pour la première fois, un public à qui il faut impérativement donner envie de revenir au théâtre ! ».

L’action de l’État
Créations artistiques, résidences, ateliers, écoles du spectateur… ces démarches s’appuient historiquement sur l’éducation artistique. Des projets qui visent à rendre accessibles l’art et la culture en formant les citoyens de demain : « Qu’il s’adresse à nos enfants ou à nos adolescents, le théâtre doit plus que jamais continuer à participer à la formation du jugement critique, à la naissance de la conscience morale et politique, il doit permettre de donner du sens à la vie ». C’est en tout cas ce qu’ont exprimé plusieurs des professionnels présents dans l’assistance, dont une représentante de l’Éducation nationale et des programmateurs soucieux de préserver ces espaces où s’organisent ces rencontres entre les artistes d’aujourd’hui et les spectateurs de demain.
D’ou l’importance du soutien de l’État ! L’engagement du Ministère de la Culture et de la Communication est effectivement essentiel. C’est pourquoi, le lendemain le Théâtre de Sartrouville recevait l’équipe de La Belle Saison, un des volets de la politique artistique et culturelle du spectacle vivant en direction de la jeunesse, un temps fort qui se veut fédérateur et rayonnant. Cette présentation témoigne de la reconnaissance du secteur appelée par la profession et traduit la volonté publique de s’engager de façon pérenne en la matière. Une impulsion nationale qui encouragera, on l’espère, l’implication de nouveaux partenaires.
Avec ces rencontres, voilà en tout cas de quoi combler la curiosité de tous ceux qui sont attachés à placer les artistes et le jeune public au cœur de leurs actions. Parmi eux, beaucoup s’engagent aussi dans la tournée nationale qui succèdera à Odyssées en Yvelines.

MOBY DICK : une invitation à prendre le large

Odyssées en Yvelines présente Moby Dick d’après Herman Melville, adaptation Fabrice Melquiot, mise en scène Matthieu Cruciani. Embarquement immédiat !
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> tout public dès 8 ans

Après une avant-première à La Comédie de Saint-Etienne, le spectacle a été présenté le 16 janvier au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines–scène nationale. A la demande de Matthieu Cruciani (metteur en scène associé à La Comédie), Fabrice Melquiot, l’un des auteurs de théâtre contemporain les plus joués et les plus traduits en France et à l’étranger, a accepté de se lancer dans le défi d’adapter ce chef-d’œuvre de la littérature mondiale. Car la première question qui vient aussitôt à l’esprit est : comment adapter à la scène ce roman d’aventures foisonnant ?
Tous deux nourrissent le goût des aventures maritimes au long cours, le goût de la mer pour tout ce qu’elle recèle de sauvage et de mystérieux : « C’est le grand ailleurs du monde des adultes, un horizon mouvementé que l’on désire et que l’on craint lorsqu’on est enfant. C’est le goût de se faire peur, un peu, et de se rêver aventurier, beaucoup. Le goût des possibles et des devenirs », explique Matthieu Cruciani.

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Un combat de légendes, une quête métaphysique
Attiré par le grand large, Ishmaël s’embarque sur le baleinier Pequod. Lancé à l’aventure, il comprend rapidement que ce bateau ne chasse pas n’importe quelle baleine. Achab, son capitaine, est sur la piste de Moby Dick, l’immense cachalot blanc qui lui a arraché une jambe par le passé. Voilà le Pequod et son équipage lancés dans un périple autour du monde à la poursuite de l’animal féroce, dont Achab a juré de se venger.
C’est le récit d’une folle quête, d’un combat fait de légendes, de mystères et de mythologies. C’est aussi le portrait d’une communauté. Le Pequod est un monde en soi, constitué de personnages qui créent une petite humanité. A travers ce voyage, Ishmaël interroge ses convictions et sa place dans l’univers.

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Une remontée de l’enfance
Faire pièce de théâtre de ce roman monstre, passer du conte au dialogue, du silence de la lecture au tumulte incessant d’un équipage en mer, c’est répondre à l’aventure par une autre aventure ! Tandis que Fabrice Melquiot a exploré la langue de Melville, Matthieu Cruciani a transposé l’adaptation sur scène avec les moyens du bord et surtout, beaucoup, d’ingéniosité : « faire entrer l’océan et ses plaines liquides, homériques, son ciel immense et ses cachalots géants, ses temples d’eau, ses tempêtes, la foule bigarrée et pleine de force d’un équipage sur un plateau de théâtre, c’est un vrai défi de représentation, une invitation au voyage et à l’imaginaire de tous, créateurs comme spectateurs. C’est comme un exercice de cartographie. »
Pour faire entrer ce monde sur le plateau du théâtre, le metteur en scène n’a cédé ni à la tentation de l’illustration réaliste, ni à la recherche d’effets spectaculaires. Il a souhaité un espace qui évoque autant les pages d’un livre, que les voiles d’un baleinier, ou encore la surface agitée d’une mer houleuse. Il a imaginé un dispositif scénique à mi-chemin entre un vieux cinéma des années 50 et un aquarium géant, une machine à songes et à signes naïfs. Des chaises bleu océan, un navire de papier, des voiles au vent, des images d’archives sont autant de leurres qui nous laissent entrevoir la proximité dangereuse du monstre marin. Voilà l’imaginaire du spectateur sollicité, et ce, dès le plus jeune âge.

Cette invitation à s’embarquer pour le « grand ailleurs » fascine autant qu’elle inquiète. Avec cette ode à la mer et aux quêtes infinies, les jeunes, et les moins jeunes, deviennent des aventuriers le temps d’une représentation.

 

JOSEPHINE (Les Enfants punis)

Les bêtises, tout le monde en a déjà fait. Certains en font même encore ! Alors, la hantise de la punition, on la connaît tous. Anna Nozière en a fait le thème principal de sa dernière pièce de théâtre, Joséphine (Les Enfants punis), qu’elle met en scène dans le cadre d’Odyssées en Yvelines. 
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> tout public dès 6 ans

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Anna Nozière fait partie de ces artistes secrets dont il faut attendre la première pour découvrir l’aboutissement de son travail. Non pas qu’elle souhaite préserver les mystères de la création, mais sa démarche, liée à l’écriture de plateau, nécessite une grande concentration. Comme un accouchement sans échographie ! De l’extérieur, on y a senti malgré tout le pouls qui battait de plus en plus vite, la chaleur qui se dégageait de cette fabrication in vitro. La première a eu lieu mardi 14 janvier à l’Auditorium de Viroflay.

Au fond du placard des enfants punis, il y a un secret
Après Les Fidèles, Histoire d’Annie Rozier et La Petite, Anna Nozière achève, avec Joséphine (Les Enfants punis), un triptyque sur l’enfance et la famille. Son personnage, Joséphine, en connaît un rayon, question bêtises. Lorsqu’elle découvre le placard des enfants punis où elle se retrouve enfermée, une aventure pleine de rebondissements commence. Comme il est immense, ce placard peuplé d’enfants qui ont eu des mauvaises notes, qui ont menti et même volé, des enfants qui ont mis leurs parents en colère ! Tout au fond, se cache un petit trou, avec la mer derrière, mince ouverture par laquelle la fuite semble possible. Et voilà les enfants voguant vers le large ! Sur une île, ils découvrent alors leurs parents sous des formes inattendues.

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La honte, la colère, la tristesse transcendées par le courage et la curiosité
Dans ce contexte où être grand ou petit ne veut plus dire grand chose, enfants et parents portent sur eux un regard neuf. La notion d’autorité parentale semble remise en question comme si Anna Nozière souhaitait une réconciliation, mais les personnages sont animés par des sentiments mêlés :
« Je n’ai jamais rencontré un adulte qui n’ait rien à réparer de son enfance. Les grands exercent un pouvoir sur les petits. C’est comme ça. Ce n’est pas intéressant de cacher la souffrance que ça peut générer, même chez les enfants heureux. Ce n’est jamais intéressant de cacher sa peine. Dans Joséphine, je montre des enfants joyeux mais aussi confrontés à leurs trouilles, à leurs hontes. Ce qui est important pour moi, c’est que les enfants-spectateurs puissent se projeter. Les petits, et même les tous petits, ont le droit d’avoir leurs zones d’ombre. Enfants et  parents partagent des endroits de terreur, archaïques. On a tous une peur viscérale de l’abandon, de la séparation, de la mort. On a tous un placard métaphorique, un placard psychique… »

Diantre ! Les spectateurs vont vivre de fortes émotions… Porté par une comédienne seule, Sarajeanne Drillaud, ce travail sur la confidence et les sons de l’enfance se déroule dans un espace intime. Une forme minimaliste aux pouvoirs démesurés, un peu comme les secrets qui émanent des placards !