ENTRETIEN AVEC ANNA NOZIERE
Anna Nozière propose un théâtre exigeant dont la singularité séduit aussi les enfants. La preuve avec Joséphine (Les Enfants punis) qui s’adresse au jeune public dès 6 ans. Vivant – vital même – ce spectacle transmet, par son énergie et sa puissance, une bouffée d’oxygène qui peut aider les plus petits à grandir et les adultes à renouer avec leur part d’enfance.
C’est la première fois que vous écrivez et montez une pièce jeune public. Quelle a été votre démarche ?
Avant de construire le spectacle Joséphine (Les Enfants punis), mon équipe et moi nous sommes longuement interrogés sur ce que nous allions montrer au public. Nous ne voulions pas nous pencher vers les enfants, comme on se pencherait vers quelque chose de plus petit que nous. Nous souhaitions, comme toujours, porter haut l’exigence artistique, rien dans l’âge du public ne justifiant de présenter une œuvre au rabais.
Enfin, comme metteure en scène, je tenais à placer les enfants comme je place les adultes dans les spectacles qui les concernent : face à leur intelligence sensible, à leur capacité à saisir un monde dont ils ne connaissent pas nécessairement les codes. C’est dans ce sens que nous avons travaillé.
Cette histoire peut remuer : au fond du placard des enfants punis, Joséphine, la reine des bêtises, vit une formidable aventure peuplée de drôles de créatures. C’est joyeux, mais il est aussi question de la peur de l’abandon, de la séparation, de la mort. Vous n’avez pas craint de terrifier les enfants ?
Depuis la création en janvier, presque deux mille enfants « à partir de 6 ans » se sont plongés avec effroi et jubilation dans le monde de Joséphine, avant de s’interroger avec nous sur ce qu’ils venaient de voir, au bord du plateau. Ce fut de très heureuses rencontres. De même, Lorsqu’enfants et parents ont regardé ensemble le spectacle, ils nous ont exprimé leur gratitude. C’est bon de rire (et parfois de pleurer) en famille, de la même histoire.
Cependant, il est arrivé que Joséphine pose une question aux adultes qui ont fréquenté le spectacle en l’absence d’enfants dans la salle : ce spectacle – qu’ils ont par ailleurs très bien accueilli – est-il bien adapté aux plus petits (6 ans) ?
Derrière cette question se cache plusieurs autres questions : ce spectacle n’est-il pas trop complexe ? Trop triste par endroits ? Ne fait-il pas trop peur ?
Comme si, de l’enfance, rien n’appartenait à la complexité, à la tristesse ou à la peur, ou qu’il faille l’en protéger.
Forte de l’expérience de la tournée, pourriez-vous justement nous expliquer comment les enfants ont reçu ce spectacle ?
Les aventures de Joséphine concernent et touchent les enfants, et pas seulement parce qu’ils s’amusent de ses bêtises, qu’ils aiment tant cette grande épée bleue ou rêvent eux-mêmes d’un bateau, d’une île où il ferait bon vivre. Mais aussi, m’a-t-il semblé, parce que le récit est traversé par un lot de sentiments complexes et contradictoires qui refusent de choisir leur camp et disent dans le même temps : être enfant est merveilleux, être enfant est violent.
Les plus petits saisissent cela. En comparaison avec les adultes ou « les plus grands », ils ne comprennent pas moins bien le spectacle. Et, parfois, ils le comprennent mieux.
Que retirez-vous de cette expérience ?
Dans cette rencontre avec le jeune public, il ne m’est jamais apparu aussi clairement combien il doit être nécessaire d’accorder aux enfants l’occasion de se confronter à des œuvres qui n’ont pas pour fonction de simplifier le monde. Non pas seulement pour raconter une histoire qui les ferait grandir, mais parce que l’artiste qui craindrait d’aborder des sentiments profonds, complexes, contradictoires et chaotiques, nierait la réalité de l’enfance. Or, pourquoi s’adresser aux enfants, si ce n’est pour les reconnaître dans la complexité de leurs ressentis ?
Voilà, si je devais le résumer en quelques mots, ce que m’a appris cette expérience : protéger l’enfance, ce n’est pas la réduire.
À chaque adulte qui aurait peur d’un théâtre jeune public qui tente, comme nous l’avons souhaité, d’aborder au plus près cette enfance, je lance le pari de venir voir Joséphine (Les Enfants punis) avec un enfant de 6 ans sur les genoux !