Le Rêve d’Anna : Tordre le cou à ses peurs

La soirée d’inauguration d’Odyssées en Yvelines qui s’est déroulée au Théâtre de Sartrouville–CDN a été une belle réussite. Le public était au rendez-vous pour découvrir Le Rêve d’Anna, la création de Bérangère Vantusso, collaboratrice artistique associée au projet du Théâtre. Une fable sociale et enfantine qui regarde le monde depuis le rêve. Du théâtre et des marionnettes tout public dès 7 ans.

couv lra
Bien qu’ancrée dans le monde d’aujourd’hui, la pièce d’Eddy Pallaro aborde des thèmes universels : le rêve et la réalité, la quête du bonheur, le rapport au pouvoir, les relations familiales. Mais quelle est donc cette histoire ?

Une histoire d’aujourd’hui
Anna vit seule avec son père qui cherche du travail. La nuit, elle rêve d’un cheval blanc avec qui elle parle et qui la réconforte. Son amie Louise, elle, est visitée par un taureau brutal qui lui apparaît en cauchemar. Le Cheval et le Taureau, vieux rivaux de rêves, se connaissent de longue date. Anna ne sait pas toujours distinguer le rêve de la réalité, ce qui lui cause quelques soucis au quotidien, notamment à l’école où les autres ont du mal à la suivre. Son père l’écoute et l’accompagne autant qu’il peut dans ses méandres. Lui a ses propres préoccupations : il passe des entretiens d’embauche. Pour aider son père, Anna va devoir prendre le taureau par les cornes avec l’aide du Cheval.

Tordre le cou à ses peurs
Eddy Pallaro traite ici de problématiques sociales qui devraient parler à plus d’un enfant. Mais pas seulement à eux ! On s’est tous déjà interrogé sur le travail. Peut-il rendre heureux ? Peut-on tout accepter pour travailler ? Le texte soulève aussi la question du pouvoir, celui que tentent d’exercer les recruteurs, Mac and Mac. La pièce évoque plus largement le pouvoir que l’on tente d’avoir sur sa vie, en tentant de maîtriser ses angoisses pour aller de l’avant. Bérangère Vantusso explique : « La question sociale, particulièrement celle du travail et du pouvoir (son corollaire), mérite d’être abordée avec le jeune public. J’ai eu envie d’investir théâtralement le décalage qui existe entre différentes façons d’appréhender le monde, selon que l’on est un adulte ou un enfant. »

Quelle plus belle Odyssée que le rêve !
Et le moyen formidable que trouve Anna pour appréhender la situation, c’est le rêve. Cela ne consiste pas à vivre dans sa bulle. Au contraire ! En prise avec la réalité, ses rêves permettent à la petite fille d’exprimer ses angoisses et d’aider son père à résoudre ses problèmes : « C’est un peu comme si les rôles étaient inversés. Souvent dans les familles monoparentales, l’enfant peut porter la difficulté d’un de ses parents », précise la metteure en scène.
Avec justesse, la pièce traite de ce sujet actuel en apportant plusieurs points de vue : « Le Rêve d’Anna est construit comme une grande broderie à deux faces : celle que l’on regarde,“a belle”, et l’autre, « la moche”, celle que l’on cache, pleine de nœuds et de couleurs mélangées. Eddy Pallaro nous invite à changer de point de vue sur les choses, à les regarder d’ailleurs, de plus haut, de plus bas, depuis le rêve, ou depuis la colère, depuis les yeux d’Anna, de son père, du Cheval ou du Taureau. Ces acrobaties de la pensée éclairent le monde avec le souffle poétique de son écriture théâtrale. »
En effet, tout est double dans cette pièce. Entre le cauchemar éveillé du père et le rêve d’Anna, chaque personnage trouve son contraire ou son équivalent : l’adulte et l’enfant, le Cheval et le Taureau. Ceux-ci évoluent dans des espaces opposés : l’imaginaire et le réel, l’école et l’entreprise. Voilà de beaux défis dramaturgiques que la mise en scène doit relever !

Comment représenter ces dualités ?
Le spectacle nous transporte d’un espace à l’autre et teinte la réalité d’onirisme. Le décor fait penser à un appartement : le salon d’un côté, la chambre de l’autre, sauf que les murs peuvent pivoter. Ingénieux ! Quant aux scènes qui se déroulent en entreprise, elles sont jouées grâce à des accessoires qui nous mettent immédiatement dans l’ambiance. Et puis, il y a l’espace du rêve, celui où tout est possible. Et là, ça tangue !
Anna1©IvanBoccara

Les marionnettes au service des écritures contemporaines
Les acteurs ne sont pas seuls à évoluer dans ce décor. La particularité de la démarche de Bérangère Vantusso, au sein de la compagnie trois-six-trente, est de mettre les marionnettes au service des écritures contemporaines. Et pas n’importe quelles marionnettes ! Chacun de ses projets explore la richesse d’expressivité de l’hyperréalisme. S’inspirant des œuvres de l’artiste Ron Mueck, elle conçoit, avec son équipe, ses marionnettes jusque dans les moindres détails. Après les croquis, la fabrication dure de longs mois avec plusieurs allers-retours entre l’atelier et le plateau où les marionnettes sont ensuite éprouvées. Manipulées à vue, ce sont en effet les acteurs qui leur prêtent mouvements et voix, cherchant les gestes , les déplacements et les intonations les plus justes. Parfois, des adaptations sont nécessaires en atelier car la mise en scène est réglée au millimètre près.

Esthétique et poétique
Grâce à l’interprétation, au travail ciselé du son et de la lumière, ces marionnettes sont troublantes de vérité. D’une rare présence, elles expriment jusqu’aux frémissements de l’âme. Dans cette quête de vérité intérieure, Bérangère Vantusso exploite donc toutes les ressources du réalisme poétique permettant aux acteurs d’exprimer les pulsations intimes des marionnettes.
atelier reveanna
Mais ménageons les effets de surprise ! Nous vous laissons découvrir le spectacle et réagir sur le Blog avant d’en dévoiler les secrets de fabrication. Nous reviendrons plus tard sur le traitement et la représentation des personnages, notamment le Cheval et le Taureau. Deux mastodontes compagnons fantastiques de cette fable où Anna regarde le monde depuis le rêve.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>